Quand c'est le départ....
Dans le texte ci-dessous, en écho à mon texte"Il est parti", Alain raconte comment il a vécu le départ d'êtres proches.
Après les morts de mes grands’ pères où j'étais trop jeune, je me souviens de mon premier vrai mort, mon chien, un épagneul breton d'une gentillesse rare.
J'avais diagnostiqué sa mort, un retour de chasse où il avait du trop forcer. J'ai mis la main sur son cœur et j'ai hurlé. Je me suis tourné vers mon père et l'ai engueulé. J'avais déjà horreur des chasseurs alors vous pensez bien que là, c'était insupportable.
Quinze jours après, un matin très tôt, sans nous le dire, ma mère l'a fait euthanasier et enterrer dans notre maison de campagne à 60 kms. Quand je l'ai appris, j'ai de nouveau hurlé. J'ai pris ma voiture, une 2 chevaux à l'époque et je suis allé déterrer mon chien. J'avais besoin de le voir. Cela m'a apaisé.
Pour mon père, en 2003, combien de fois suis-je allé le chercher à l'hôpital pour le ramener à la maison. Il devenait sénile mais pas suffisamment à mon sens pour qu'on l'enferme dans un asile. Je n'étais pas d'accord ni avec ma mère ni avec mes frères. J'allais le chercher et, sans passer par la case départ, on se faisait la malle et je le faisais rire. Il était heureux comme un enfant de faire le mur. Je le ramenais à la maison. Cela ne plaisait pas aux autres mais j'en n'avais rien à foutre.
Jusqu'au jour où je l'ai rapatrié près de chez moi, dans une maison de retraite. Je venais le voir tous les matins avant d'aller au travail. Ce n'est pas qu'il était en mauvaise santé mais il avait peur. Il voulait que sa femme le rejoigne. On allait fêter leurs 60 ans de mariage. Alors je le tenais en haleine en lui disant qu'elle allait bientôt venir dans une chambre, près de lui. Cela le rassurait mais pas vraiment.
Deux jours avant sa mort, j'ai réussi à réunir tout le monde un dimanche. Il faisait beau, c'était un jour de mars. Mon père, devant nous, a fait une magnifique déclaration d'amour à sa femme. Ils avaient tous les deux de très beaux yeux bleus. Il la regarda et par trois fois lui dit "je t'aime", les yeux brillants d'un enfant au cœur pur. Ma mère était gênée et semblait insensible (après 60 ans de discordes). Tout le personnel de la maison de retraite était impressionné par la qualité de l'amour qui se dégageait de mon père.
J'ai du encore lui promettre, ce jour-là, que ma mère allait venir le rejoindre. Au soir, il était inquiet quand elle repartit. Je restai un moment avec lui pour le rassurer.
Deux jours après comme par hasard, je ne pus venir comme d'habitude avant d'aller au boulot. C'est le moment qu'il choisit pour partir, comme un roi, à la fin de son petit déjeuner, juste après avoir avalé une biscotte. Il voulut se lever et resta assis, mort. Les infirmières n'avaient jamais vu ça. Je ne remercierai jamais assez ses anges qui l'ont aidé à partir comme un roi, sans doute parce qu'il le méritait. C'était un homme si simple et si bon.
Je l'ai veillé pendant deux jours pleins, lui demandant sans cesse de ne pas rester là et de se tourner vers la lumière.
Pour ma mère, ils voulaient tous la mettre dans une maison de retraite, depuis qu'elle était atteinte d'une dégénérescence maculaire qui la rendait aveugle, ou presque.
Comme elle ne voulait pas, je demandai à ma femme si elle était d'accord pour qu'on la prenne.
Comme elle ne voulait pas, je quittai femme et fille pour m'installer dans un petit appartement avec ma mère. Elle était heureuse comme une enfant. Un peu trop sans doute parce qu'elle voulait que je ne la quitte pratiquement jamais et il fallait bien que je travaille.
Je rapatriai femme et fille dans un appartement voisin et je m'occupai de tout le monde.
Comme elle était très possessive, je ne pouvais plus guère sortir. Même le soir, je devais regarder la télé près d'elle pour ne pas la laisser seule. C'est à cette époque que je bus un peu trop de whisky. Cela ne lui plaisait pas bien sûr. Avec ma mère, il fallait être irréprochable.
Quand je lui annonçai que je partais en vacances avec femme et fille en Espagne pendant quinze jours, elle me dit :
"Tu ne vas pas me laisser seule ?"
Je lui répondis que mes frères allaient venir me remplacer. Elle ne voulut rien entendre et je dus lui prendre une chambre spéciale dans la maison de retraite du village, pour l'occasion. C'était sa volonté alors qu'elle bénéficiait d'une aide à domicile, disposée à venir dormir la nuit pendant mes vacances. Que voulez-vous, quand on a été gâtée toute sa vie, qu'on n'a pas eu besoin de travailler, qu'on a été courtisée par tous les hommes tellement on était belle, on a du mal à accepter certaines choses en vieillissant.
Elle a été une femme remarquable de l'amour qu'elle nous a donné et de son autorité bienveillante. C'était un ange. Seulement voilà, quand vous vous dégradez par la force de l'âge, l'ange est déchu.
La veille de mon départ en vacances, elle me fit un petit malaise de rien du tout. Je la ramenai à sa chambre qu'elle avait déjà prise et la laissai, lui disant que j'allais préparer ma valise. Je revins avec des petit gâteaux. Elle n'avait pas changé de place. Allongée sur son lit, sur le dos, elle avait les yeux fermés et les mains jointes. Le soir, je lui téléphonai mais cela sonnait occupé. Je devais me coucher tôt puisqu'on partait le lendemain vers 5 heures.
Je ne m'inquiétai pas outre mesure et retéléphonai. Cela sonnait toujours occupé. Elle devait bavarder avec mon frère, ils adoraient ça tous les deux.
Quand nous partîmes vers 5 heures, je me dis que je l'appellerai vers midi.
C'est mon frère qui m'appela, on était déjà en Espagne. Il m'annonça que maman était décédée. J'hurlai et me gara un instant sur la bande d'urgence, défait.
Je rappelai mon frère qui m'expliqua que l'aide soignante, le matin, trouva maman allongée sur son lit, bien vivante mais bizarre. Elle appela mon frère qui était chargé de prendre le relais. Il lui demanda de faire venir le médecin, ce qu'elle fit. Celui-ci arriva assez vite. Comme ma mère n'avait aucune maladie particulière, en l'examinant, il diagnostiqua un malaise vagal, sans conséquence apparente. Le médecin repartit et ma mère se rallongea dans la même position. Quand l'aide soignante vint la chercher à midi pour le déjeuner, elle était morte.
Je déposai femme et fille à destination. Je pris un avion le lendemain à Valence et rentrai à temps pour voir maman dans son cercueil. Je discutai un grand moment avec elle sans plus pour ne pas la troubler. J'insistai pour qu'elle ne reste pas là et qu'elle se tourne vers la lumière.
C'est important avec nos morts de ne pas être triste, de ne pas les juger, de leur dire qu'ils s'en aillent et qu'ils se tournent vers la lumière.
Je fus tout de même choqué. Je le suis encore, là, quand j'écris, le malaise me prend mais c'est ainsi.
En 1990, pour ma grand'mère paternelle, ils avaient tous laissé tomber. Elle était devenu un légume après deux AVC et croupissait dans un lit d'hôpital, complètement fermée. Elle avait surtout appris que le fils avec qui elle vivait depuis toujours venait de mourir, lui aussi d'un AVC.
Alors, je venais tous les jours m'asseoir à côté d'elle et de temps en temps, ma femme venait aussi. Elle devait nous en vouloir puisqu'elle refusait que je lui prenne la main.
Jusqu'au jour où elle prit des esquarres sur la langue. Comme elle était branchée en permanence, à l'époque on faisait vraiment de l'acharnement thérapeutique. Je me révoltai.
Je rencontrai la médecin chef. Elle me reçut dans un petit coin en m'écoutant. Je me souviens, elle baissait la tête sans dire un mot. Je compris plus tard que c'était une femme exceptionnelle.
Le lendemain matin, très tôt, je reçus un coup de fil de l'hôpital. Mamynette était morte.
Quand j'arrivai, elle était resplendissante. Ils lui avaient préparé un voyage en première classe. En la voyant, je me tournai aussitôt vers le plafond et lui demandai de ne pas rester là.
Pardon pour la longueur mais cela fait du bien.
Alain
Les photos ont été fournies par Alain. Ce sont ses parents.