Marie Madeleine et la fillette
Elle était venue en début de semaine de la part du notaire
de Montmerle. Elle marchait difficilement avec sa canne et son âge quelque peu
avancé. J'ai su par la suite qu'elle avait 76 ans.
- Voilà Monsieur Thomas, Maître Richard me dit que je peux
avoir toute confiance. Il s'agit de la petite maison que je loue à Montmerle à
un monsieur qui voudrait la relier avec la sienne dont il est propriétaire.Il faudrait que vous passiez à la maison pour que je vous
donne tout le dossier et que vous compreniez bien la situation.
- Bien Madame, comment vous appelez-vous ?
- Perraut, Marie-Madeleine Perraut.
- Quel joli prénom et il vous va si bien si j'en juge au
pétillement de votre regard Madame Marie-Madeleine.
Elle sourit largement et nous prîmes rendez-vous.
Ce vendredi matin, en ce jour nouveau, j'arrivai devant la
maison de Marie-Madeleine. Le ciel était bleu-blanc et le soleil brillait. Il
faisait si froid avec cette bise venue du nord. Elle m'avait dit que le grand
portail serait ouvert, qu'il fallait entrer sans sonner.
Ces moments de vie voyez-vous, où l'on quitte son mental comme on enlève un
vêtement, où l'on sait que l'on va faire une rencontre merveilleuse et rendre
service, sont tellement beaux qu'ils se privent sans conscience du temps qui
passe.
J'ouvre le grand portail, traverse la cour, frappe à la porte vitrée et voit
arriver une femme plus jeune, bedonnante et au sourire accueillant.
- Entrez Monsieur Thomas, on vous attendait. Vous me
reconnaissez ?
- Euh!... Non, je ne crois pas.
- Ah ! Vous nous avez vendu notre maison il y a plusieurs
années.
- Ah oui, votre visage me revient en tête maintenant. Tout
va bien ?
- Oui venez, ma cousine vous attend.
- Bonjour Madame Marie-Madeleine, comment allez-vous ce
matin ?
- L'arthrose Monsieur Thomas, cette foutue arthrose qui
m'empêche de dormir.
Elle avait les doigts déformés et son avant-bras gauche aussi. Je lui pris ses
mains dans les miennes pour observer tous les aspects, lui fis tendre les bras
pour vérifier s'il n'y avait pas de tremblement.
- Aucun tremblement Madame Marie-Madeleine. Avec le prénom
que vous avez, les douleurs vous maintiennent éveillée. Vous savez, je vois
tellement de souffrance dans les hôpitaux et vous êtes chez vous, avec votre
sourire bienveillant.
- Merci Monsieur Thomas ! Je vous offre quelque chose ?
- Un thé... avec du miel, fera l'affaire. Alors, que
puis-je faire pour vous ?
- Mon locataire veut acheter ma maison mais il me fait une
proposition très basse. Je voudrais que vous alliez la visiter pour me donner
une estimation.
Après avoir examiné tous les documents adéquats, je sentis
très vite que la proposition n'était pas très correcte.
- Madame Marie-Madeleine, n'ayez plus de soucis ! Je
m'occupe de tout. Il ne s'agit pas pour moi de proposer à votre locataire un
prix élevé ou trop bas ; il s'agit d'établir un prix selon le marché actuel,
sans quoi votre locataire pourrait bien se voir démuni à la fin de son bail...
dans un an, si j'en crois les documents. Les coquins voyez-vous seront toujours
des coquins, si personne ne le leur dit. Je vais le lui dire gentiment et vous
n'avez plus à penser quoi que ce soit qui augmente votre inquiétude. Votre
petite retraite n'est pas facile à assumer, alors on va tout faire pour
l'agrémenter.
Son visage s'éclaira au point qu'elle comprît d'un coup qu'elle pouvait
s'abandonner.
C'est dans ces instants-là que la magie s'opère. Un climat de confiance
s'établit et c'est un bonheur. La flamme de ses yeux brilla intensément. Elle
se leva, chercha encore des papiers, me remit tous ses originaux.
En quelque sorte, elle s'abandonna complétement.
- Marie-Madeleine... Vous permettez que je vous appelle
par votre prénom ?
- Oui oui bien sûr !
- Marie-Madeleine, en cette froide matinée d'hiver où il
fait si bon chez vous, votre thé parfumé au miel est délicieux. J'appelle votre
locataire aujourd'hui et je prends rendez-vous avec lui. Ensuite, je passe vous
voir et nous discuterons... autour d'un autre thé ?
- Oui bien sûr avec plaisir.
- Pour votre arthrose, je sais que c'est douloureux.
Puissiez-vous au moins dormir comme il suffit et profiter des moments où vous
ne ressentez pas trop la douleur, comme à l'instant, quand je vois votre beau
sourire. Il est tellement de gens qui souffrent le martyre.
- Oui mais vous savez, les genoux, l'épaule à gauche, le coude, ça fait
beaucoup. Et ça progresse.
- Allez bon courage Marie-Madeleine ! Merci pour le thé et à très bientôt !
Sa jeune cousine m'accompagna à la porte et je pris congé. J'étais content. Je
respirai à fond, eus une pensée pour Frédérique et me dis que la vie donnait
tellement d'opportunités à saisir, que l'amour de son prochain était tellement
plus facile quand l'autre a le cœur ouvert et la flamme dans le regard.
Cela me rappela un instant l'histoire de cette fillette pauvrement
vêtue qui se détacha de la foule et demanda à parler à Marie, la Mère d'Emile.
Marie prit les mains de la fillette dans les siennes et lui dit :
- Chérie, que puis-je faire pour toi ?
Marie découvrit bientôt que le frère de la fillette avait
fait une chute et s'était probablement brisé la colonne vertébrale. La fillette
supplia Marie de l'accompagner pour voir si elle pouvait améliorer l'état du
garçonnet, qui souffrait beaucoup.
A l'approche de la maison, la fillette bondit en avant pour annoncer l'arrivée
de Marie. Elle habitait une cabane de boue particulièrement misérable.
Marie dit alors :
- Bien que ce soit un taudis, il y bat des cœurs chauds.
Dans le coin le plus éloigné, sur un amas de paille moisie et de chiffons
malodorants, gisait un garçonnet de cinq ans au plus, au visage contracté et
d'une pâleur de cire.
La fillette s'agenouilla auprès de lui et lui prit le visage entre les mains,
une main appuyée contre chaque joue. Elle lui dit qu'il allait être
complètement guéri car la dame magnifique était déjà là. Marie dit :
- Tu aimes beaucoup ton frère n'est-ce pas ?
La fillette qui n'avait certainement pas plus de neuf ans
répondit :
- Oui, mais j'aime tout le monde.
- Si tu aimes ton frère tant que cela, tu peux contribuer
à le guérir.
Elle lui fit remettre une main sur chacune des joues de son frère, puis se
déplaça pour pouvoir mettre sa propre main sur le front du garçonnet. Presque
aussitôt les gémissements cessèrent, le visage du garçonnet s'éclaira, son
petit corps se détendit, un calme complet s'installa sur toute la scène, et
l'enfant s'endormit tranquillement d'un sommeil naturel.
La fillette se jeta subitement aux pieds de Marie, en
saisit un dans chaque main, et baisa frénétiquement ses vêtements. Marie se
baissa, releva d'une main le petit visage fervent et couvert de larmes, puis
s'agenouilla, serra l'enfant dans ses bras, et lui baisa les yeux et la bouche.
Marie dit à l'assemblée :
- Cette fillette sera une grande bienfaitrice parmi ces
gens, car elle possède le pouvoir de la détermination d'exécuter ce qu'elle
entreprend.
Quelqu'un demanda à Marie comment elle avait pu aider de
la sorte la fillette et ses parents. Elle répondit :
- Eh bien, ce fut grâce à l'attitude de la fillette. C'est à
travers elle que nous avons pu aider toute la famille. Elle est
l'organe d'équilibre de son groupe. C'est par elle que nous allons atteindre
beaucoup d'autres gens d'ici.
Alain
Les photos sont des vues du village de Montmerle