Marinaleda
En Andalousie, dans la province de Séville, une commune d'environ 2700 habitants vit dans la misère et la pauvreté. Nous sommes en 1970. Pas de rues goudronnées , un habitat misérable, pas de collège. Tout autour de Marinaleda d’immenses propriétés appartenant pour la plupart à de riches propriétaires terriens. « Los terratenientes », l’aristocratie seigneuriale séculaire, exploitent des milliers d’hectares et des dizaines de milliers d’ouvriers agricoles, peones ou jornaleros (journaliers). C’est le royaume du travail précaire car tout est mécanisé.
1975 sonne la fin du franquisme. Un souffle de libéralisme commence à balayer l'Espagne. Les villageois décident alors de se présenter aux premières élections municipales libres depuis la fin de la dictature Ils créent alors le Collectif Unitaire des Travailleurs (CUT), encore au pouvoir 35 ans après. A sa tête Sánchez Gordillo, maire de Marinaleda qui, depuis plus de 30 ans, instaure une démocratie participative et engage une lutte féroce mais non violente contre le plus grand propriétaire terrien de la région: le duc de l'Infantado, détenteur de 17 000ha de terres. Grèves de la faim, occupation des fermes se succéderont pendant 10 ans jusqu'à la décision de gouvernement andalou d'exproprier et de racheter 1200 ha du domaine du duc pour les donner au village de Marinaleda.
L'aventure sociale et humaine pouvait commencer, aventure fondée sur une idéologie de gauche. Depuis 30 ans l’ensemble des décisions concernant le village, la politique, les budgets, les impôts, la coopérative etc. sont discutées et votées lors d’assemblées générales, auxquelles tous les villageois peuvent participer.
Le Maire estime que l’accord des habitants doit au minimum avoisiner les 80 % pour être représentatif du sentiment de la population. A noter que ce dernier et les autres élus de la ville ne reçoivent aucune rémunération au titre de leur charge.
Lors des assemblées participatives, les villageois ont adopté la proposition des maisons auto- construites. Cela afin de lutter contre les problèmes de logement et contre la spéculation immobilière.
Ainsi, le gouvernement andalou finance le matériel, la mairie fournit le terrain et l’architecte, et les futurs propriétaires travaillent sur la construction ou embauchent eux-mêmes un professionnel pour le faire.
Une fois la maison construite, les occupants s’acquittent de 15 euros par mois pour rembourser l’investissement de l’Andalousie et du village. A noter que toute personne ayant vécu au minimum un an dans le village peut demander à la mairie une maison auto-construite.
Quant aux terres attribuées, les villageois en ont fait une grande parcelle agricole collective. Ils produisent des fèves, des artichauts, des poivrons et de l’huile d’olive vierge extra. Les travailleurs eux-mêmes contrôlent toutes les phases de la production, la terre appartient à “l’ensemble de la collectivité”. L’exploitation comprend une conserverie, un moulin à huile, des serres, des équipements d’élevage, un magasin. Quel que soit leur poste, les travailleurs reçoivent tous un salaire de 47 euros la journée et travaillent 6 jours par semaine, soit 1 128 euros par mois pour 35 heures par semaine [le salaire minimum est de 641 euros].
Ajoutons à tout cela que la garderie coûte 12 euros/mois/enfant (cantine comprise) et que l’accès aux équipements publics est gratuit (sauf la piscine). Bref, à Marinaleda, personne ne roule sur l’or (même pas le maire qui n’est pas payé pour remplir ses fonctions), mais personne ne manque de rien.
L’utopie de Marinaleda n’est pas parfaite. Le processus est partiel et connaît des contradictions, ce qui est inévitable dans tout processus de transformation sociale. Mais comme le rappellent souvent ses habitants, elle a valeur d’exemple. Car construire des alternatives, disent-ils, peut être fait partout…Cette expérience est la source d'une certaine polémique et les critiques disent cependant que le progrès économique et social est en grande partie due au fait que près de 80 % du revenu reçu par la ville de Marinaleda provient de transferts d'argent venant d'administrations centrales telles que l'état, la communauté autonome d'Andalousie ou la députation de Séville.