Machine à lire
Un beau texte écrit par Elizabeth, personnel et original, comme elle sait bien le faire. Je l'ai pris sur son blog: http://2009sediments.wordpress.com/. Elizabeth est une grande lectrice qui s'intéresse également à toutes les formes de l'art.
« J’aime l’allure poétique,
par sauts et gambades (…) Je m’égare,
mais plutôt par licence
que par mégarde. » Montaigne
Quelquefois je lis vraiment comme une machine, sans rien comprendre à ce que je lis. (Je parle des livres que j’ai la capacité de comprendre, pas de Merleau-Ponty…) Cela se passe quand je suis trop fatiguée pour suivre et pas encore assez pour lâcher le livre… Quand il s’agit d’un roman, enfin d’un roman où il y a une histoire avec des personnages et tout, ce n’est pas très grave. Les noms des personnages ou les noms de lieux, ou certaines circonstances évoquées, agissent comme des butoirs ; je reviens en arrière, je refais les connexions nécessaires, je raccommode les lacunes. L’histoire que je lis alors n’est peut-être encore pas tout à fait la bonne, mais en existe-t-il une bonne ? ou bien n’existe-t-il que l’histoire qu’une lecture quelconque, hic et nunc, est en train de créer ? That is the question, disait le prince de Danemark.
Lorsque le texte a une forme narrative différente, c’est plus difficile. J’ai l’impression qu’alors au lieu de perdre des morceaux en route, comme dans le cas précédent, j’en ajoute ; des mots imprévisibles servent de tremplin à des sauts dans le vide, accrochant au passage un souvenir d’enfance, une réminiscence d’autre lecture, un élément hétérogène venu de l’extérieur. Je décris une boucle plus ou moins large et je reviens au point de départ, mais le texte ne reste sans doute pas indemne de ces excursions incontrôlables.
Les livres ne m’en gardent pas rancune. Ils continuent à me faire du bien. Pas de meilleure compagnie.
Source image : Musée des Beaux-Arts du Locle : Albert Anker, Jeune fille lisant (vers 1882)