L'oeuf à la coque
Dans la chambre de Thérèse 98 ans, on a laissé la fenêtre ouverte pour qu'elle puisse admirer ses chères montagnes, caressées par un frais soleil de printemps. Thérèse a toujours vécu dans cette région des Pyrénées-Atlantiques où elle finit ses jours à Cambo- les-Bains. Ce jour-là, quand Philippe, le directeur de l'établissement, passe la voir, cette patiente discrète a, pour la première fois qu'elle est ici, quelque chose à lui demander. Oh, pas grand chose! Thérèse voudrait simplement manger un œuf à la coque, un œuf frais! Avec une pincée de sel et une mouillette de pain beurré.
Philippe accepte aussitôt, heureux de pouvoir lui faire plaisir, ému aussi. Car il a compris, il a de l'expérience: ce que lui demande Thérèse, c'est un dernier vœu, une ultime façon d'apprécier la vie. Qui lui refuserait cela? Un œuf, une gourmandise à vingt centimes d'euros!
Philippe passe à la cuisine pour passer commande de son œuf. Stupéfaction: le chef cuisinier lui oppose un refus. Le règlement l'interdit, question de sécurité alimentaire. L'œuf réglementaire, c'est un produit en Tetra Brik, compacté sans sa coquille. Philippe tente de vaincre la résistance du cuisinier, puis de la diététicienne qui ne veulent pas se mettre dans leur tort. Alors le directeur se tourne vers les associés actionnaires de l'établissement qui refusent eux aussi. L'établissement risque la fermeture.
Thérèse a attendu son œuf pendant des heures. Elle s'est étonnée de ne pas le voir arriver. Elle s'est demandée pourquoi on le lui refusait, ce qu'elle avait fait de mal. Avait elle eu tort d'oser demander quelque chose? Personne ne répondra jamais à ses questions. Thérèse est morte le lendemain, en silence.
Il ne suffit pas de bonnes structures pour aider et soulager les personnes âgées. Encore faut-il un accompagnement humain quitte, parfois, à transgresser les lois, surtout lorsqu'il s'agit d'un dernier geste.
Extrait d'un article paru dans Horoscope