Sont-ils vraiment si différents ?
Le thème du handicap a suscité de votre part des témoignages émouvants, voir poignants. Je pense qu’il est important de les diffuser car finalement on peut se poser une question essentielle « Qu’est ce que la normalité ? ». C’est une question que je me pose souvent car, derrière celle-ci, se trouve cachée, tapie, une autre réflexion « Le droit à la différence », souvent vecteur d’intolérance, de rejet et d’agressivité.
J’avais 9 ans
Quand j'avais à peu près 9 ans, mon père m'a fait changer d'école et tous les matins en prenant le bus qui m'emmenait à Gonesse je rencontrais la même dame avec qui ma mère parlait.
Un jour j'ai parlé des handicapés et de ma peur. Ma mère ne m'a rien dit ; puis en aparté elle m'a dit que la jeune dame avait perdu deux fois un enfant. Ceux-ci étaient handicapés avec une espérance de vie limitée.
Mon regard ce jour là a complètement changé. Aujourd’hui,
pour moi, l'handicap n'existe plus.
Durant mes vacances, j'ai rencontré un couple qui avait deux enfants dont un en
fauteuil roulant. J’ai préféré ne pas poser de question. Il m'arrivait de
parler avec l’autre de leurs filles, atteinte de surdité partielle et qui avait de problème pour parler. A la fin du
séjour j'ai découvert que c'était les dernières vacances de l'enfant dans le
fauteuil roulant. Il lui restait 6 semaines à vivre...terrible d'avoir un
compte à rebours, difficile pour les parents de partager ces moments en sachant
que l'enfant qu'ils chérissent va bientôt disparaître.
Quelle force pour l'enfant sourd de vivre cet "enfer" et d'être
heureuse pour sa sœur, d’être près d'elle, de rire avec elle, tout en sachant
que la dégénérescence est inéluctable.
Les handicaps aident à se surpasser, à donner le meilleur parce que justement
il y a cet handicap. C’est en même temps une gageure de dire aux autres,
"Je suis comme toi malgré ce que tu vois."
Sarah
Cyril
J'ai assisté à de nombreuses scènes de rejet du handicapé
et mon cœur saigne.
Nous avons un jeune de25 ans qui souvent nous téléphone. Cyril a été éjecté
lors d'un accident de la route, il avait 12ans. Trépané, puis paralysé d'un
côté il ne marche plus.
Il possède un fauteuil électrique car il n’a pas suffisamment de force pour
s'aider lui-même. Le plus grave c'est qu'il a perdu la faculté de compter et de
lire.
Le couple de ses parents n'a pas résisté à cette épreuve. Ils ont divorcé. La maman est restée seule avec 3 garçons.
Ayant fait la connaissance de ce jeune il y a 7ans une sympathie est née. Il a besoin de parler. Ses frères, plus âgés, sont mariés et ne le supportent plus.
Il me téléphone donc, mais toujours à la mauvaise heure ou bien le soir, car il est souvent seul. Patience, patience pour ne pas l'expédier. Chaque fois, sourires, mots gentils et promesse de le rappeler.
Le handicap peut être de naissance ou par accident et peut arriver à chacun de nous...
Sylvie
Et si je me trouvais à leur place ?
Moi-même proche spirituellement de l'oeuvre de l'Arche de Jean Vanier, je suis, depuis toujours, sensible à la présence des handicapés dans notre monde.
Bien sûr, ils me font peur, car j'appréhende leur cri ou leur
réaction imprévisible, comme celle, toute simple, de venir me serrer la main en
me demandant mon prénom. Eux, ils m'énoncent le leur, chose que, parfois, ne
fait même pas une personne dite "normale".
Et si la personne handicapée avait comme mission mystérieuse d'humaniser notre
terre ?
Ces personnes me font toucher mes limites (eh oui, encore) :
Pourquoi suis-je mal à l'aise avec eux ?
Et si je me trouvais à leur place ?
Et si j'avais un enfant comme eux ?
Alors revient sur le tapis, le sujet insoluble des
injustices de la destinée des hommes.
Pourquoi lui et pas moi ?
Mon apaisement, c'est la douceur du regard et de la voix
de Jean Vanier, avec son délicat petit accent.
Cet homme, non pas fils du hasard, mais de l'exception, comme aurait dit
Maurice Druon.
PLV
Aller vers l’essentiel
Les personnes handicapées ont une faculté extraordinaire,
celle d’aller vers l’essentiel, toujours.
Aujourd’hui René a 52 ans. Son retard mental est prononcé. Il a conservé son
esprit d’enfant. Il ne sait ni lire, ni écrire mais il travaille assidument en
tenant ses cahiers à jour. Il est amoureux et fière de sa compagne. Il fait du
ski, monte à cheval, court le marathon (le gagne !) et voyage, grâce aux
efforts soutenus du centre dans lequel il vit, grâce aux éducateurs qui
accomplissent un travail formidable, exceptionnel. On ne les remercie jamais
assez tant ils sont solides dans leur courage, leur patience, leur bonté et
leur humilité. Ce courage, cette bonté et cette humilité que l’on retrouve
immanquablement chez les résidents eux-mêmes.
Mais quoique l’on dise, les éducateurs et les centres pour lesquels ils travaillent sont insuffisamment soutenus. Relégués au second plan, ils sont noyés dans les lenteurs administratives et sociales, dans les confusions et les faux semblants de ceux qui seraient censés leur fournir de l’aide.
Cependant ces hommes et ces femmes ne désarment pas face à l’ingérable, face au manque de subventions, aux insuffisances de tout genre. Il s’agit là, pour eux, d’une lutte continuelle, ne serait-ce que pour repeindre des locaux, de manière à les rendre plus accueillants. En revanche des sommes ahurissantes sont dépensées pour des futilités et ce dans le seul but de satisfaire la machine économique.
Il en est malheureusement de même pour les personnes âgées qui sont le plus souvent oubliées, seules et démunies.
Les handicapés, mentaux notamment, peuvent être
imprévisibles. Mais dites-vous qu’eux aussi ont peur, de vous, de moi, de nous
tous, les gens « normaux ». Leur peur est légitime, peut-être même qu’elle
n’existe pas ou tout au moins pas de la manière dont on peut la percevoir. Ils
passent outre et viennent vers vous naturellement parce qu’ils en ont envie.
C’est une démarche authentique. Ils ont beaucoup d’amour à donner. Leur
tendresse est immense, bien plus que beaucoup d’hommes réunis en parfaite
santé.
Ils sont, sans conteste, différents. Ils le savent. Ils connaissent aussi les
joies, les douleurs. Mais ils donnent toujours d’eux avec sincérité. Leur joie
n’a d’égale que leur amour qu’ils offrent de façon inconditionnelle. Et puis
quand nous parlons avec eux, ils se font toujours une joie de nous raconter
leur journée parce que le rapport est humain avant tout et qu’ils attendent de
nous ce que nous pouvons leur donner, à savoir notre écoute.
Hananmi
Pierre
Il aura 32 ans ce mois-ci.
Tous les jours il va au cimetière. Il chérit la tombe d'Annie, sa maman, disparue le 2 juin 2006 des suites d'une longue maladie. Le soir, au moment du coucher, il ouvre sa fenêtre et regarde le ciel. S'il est dégagé, il fouille les étoiles et trouve Annie, qui veille sur lui.
Pierre est handicapé sous tutelle et vit avec son père,
lui-même sous curatelle. Il vient me voir tous les jours et me raconte sa
journée. Il travaille au CAT de Belleville. A la fin de chaque mois, il
m'apporte sa fiche de paie. Il est content quand je la range dans son dossier.
Il me demande des nouvelles de ma fille. Il veut lui faire un cadeau pour Noël.
Je lui dis qu'elle va bien et qu'elle demande de ses nouvelles, elle aussi.
Il me parle de son travail, de sa cousine qui travaille avec lui. Il aime la musique. Il me récite tous les départements avec les chefs-lieux. C'est un garçon merveilleux.
Il n'arrive pas à regarder dans les yeux mais il
progresse. Tantôt il dit "tu", tantôt il dit "vous".
Je lui pose des questions sur son travail et je lui parle d'Annie.
Il a fait de sa tombe la plus belle du cimetière. Il y a des fleurs toujours
fraîches.
Parfois, il entre dans mon bureau et je suis occupé. Il
s'en aperçoit et il me dit :
"Je peux venir demain ?"
De temps en temps, je lui dis qu'il est comme un fils mais que je ne remplacerai jamais son père. Je lui dis que je serai toujours là pour lui. Voilà quatre ans maintenant qu'il vient me voir tous les jours de la semaine.
Pierre est le fils que je n'ai jamais eu. J'ai beaucoup de chance de l'avoir.
Il me donne beaucoup d'amour.
Je te remercie Pierre de me donner autant d'amour.
Alain
« Les 5 sens des handicapés sont touchés mais c’est une 6e qui les délivre ; bien au-delà de la volonté, plus fort que tout, sans restriction, ce 6e sens qui apparaît, c’est simplement l’envie de vivre. »
Grand Corps Malade
A lire un excellent bouquin sur le sujet : Où on va, papa ? Récit autobiographique d’un père confronté aux lourds handicaps de ses deux fils. Jean-Louis Fournier y raconte la vie, sur le ton de l’humour, de ses deux fils nés gravement handicapés –physiques et moteurs. Avec ce livre Jean-Louis Fournier a obtenu le prix Fémina.