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Les voies de l'âme
5 novembre 2010

La gloire de mon père

1958, j'avais huit ans.

Nous n'avions plus de gramophone à cette époque mais déjà notre premier tourne-disque.

Mon père avait une collection impressionnante de 78 tours. Nous devions en prendre grand soin avant de passer un disque et surtout faire très attention à ne pas le rayer. La moindre turbulence pouvait faire déplacer le bras et cela pouvait avoir des conséquences irrémédiables.
C'est mon père, grand mélomane et lui-même ayant fait partie d'un quatuor vocal parrainé dans les années trente par Jean Sablon et constitué de trois frères tous dentistes, qui m'a fait découvrir très jeune la passion de la musique.
A l'âge de huit ans, je connaissais par cœur toutes les symphonies de Beethoven, mais aussi Mozart, Tchaïkovski, Moussorgski, Rimski-Korsakov, Schubert, Mozart, Haydn, Haendel, Bach et j'en passe. Mais c'est bien le jazz qui avait notre préférence à tous les deux.

Django_ReinhardtMon père n'a pas eu de chance car la guerre les a séparés tous les quatre. Je ne savais pas à quel point son groupe vocal, très original, puisque leur spécialité était de chanter à quatre voix sans paroles ni instruments, sans la guerre, serait certainement devenu célèbre. Ils se servaient uniquement de leurs mains collées sur la bouche et ils sortaient des sons d'instruments (trompettes et autres) et à l'époque, ils faisaient un tabac. Leur musique s'apparentait au jazz.

Ils se sont produits notamment au Café de Paris à Monte Carlo, sous la houlette de Jean Sablon.
Et puis la guerre. Mon père a échappé aux camps allemands, malheureusement pas ses partenaires et amis, qui sont passés par Dora où ils sont revenus une petite centaine sur trois ou quatre mille.

Les frères Gaillot, tous trois dentistes, n'ont jamais, jamais parlé de cette portion de leur vie.
En 1966, mon frère qui était déjà aveugle, se mariait à Tassin la demi Lune, dans un grand restaurant qui s'appelait "La Sauvagie" et c'est la seule fois de toute ma vie où j'ai eu l'immense bonheur de voir le quatuor à nouveau réuni et, sur la fin de cette journée grandiose, j'avais seize ans, à la demande générale, ils sont montés sur scène et je suis resté bouche bée devant eux, le cœur en chamade.

J'étais fier de mon père. Ce qu'ils ont interprété, sans avoir répété une seule minute, fut pour moi l'un des moments les plus forts de ma vie.

C'était extraordinaire d'originalité et ils ont pris un réel plaisir à chanter quelques morceaux fantastiques.

Mon père m'a fait découvrir le jazz et j'ai été bercé par les Django Reinhardt, Fats Waller, Benny Goodman, Tommy Dorsey, Billie Holiday, Cab Calloway, Tommy Dorsey, Earl Hines, Lil Armstrong, Artie Shaw, Chet Baker, Bil Coleman, Louis Armstrong, Ella Fitzgerald, Joe Turner et bien d'autres encore.

A sa retraite, mon père a enregistré ce qui représente aujourd'hui l'une des plus grandes collections de jazz, sous forme de cassettes audio. Il en a fait plusieurs petites valises qu'il m'a léguées à sa mort en 2003.

louis_armstrong_Les cassettes aujourd'hui sont un peu les 78 tours de l'époque. Cette collection, je me suis dit que je l'écouterai pour mes vieux jours (si possible). J'ai conservé un appareil permettant de lire des cassettes. Je le garde précieusement.

Aujourd'hui, il ne se passe pas une nuit sans que je m'endorme avec de la musique.
J'écoute de la musique classique et du jazz choisis. Je n'ai pas besoin de somnifère. La musique reste pour moi le meilleur objet de méditation et donc d'attention.
Sans la musique, la vie n'aurait pas eu la même saveur. Jusqu'à la fin de cette vie, elle restera mon moteur principal, à la gloire de mon père.

A toi papa, qui fut respecté et aimé par tellement de gens, pour ta simplicité, ton humour, ta personnalité légèrement misanthrope, ta grande culture générale, ta passion pour la science, les animaux et la musique !

 

Alain Thomas

Commentaires
A
Si tu savais mon Daniel le déchirement pour moi ce soir.<br /> Peut-être as-tu entendu parler de Vincent Duluc, l'un des journalistes sportifs les plus célèbres de France, qui écrit sur l'Equipe.<br /> Je suis en contact très rapproché avec lui et je l'informe de ce qu'il se passe actuellement au sein de notre club et qu'il sait déjà. Disons que je sais des choses qu'il ne sait pas. Nous avons un président qui devient fou et un coach totalement incompétent. Nous allons droit dans le mur si nous continuons ainsi.<br /> Les joueurs s'attendaient à un changement profond le 24 octobre dernier pour l'ultimatum que JMA avait programmé et ils ont été déçus, très déçus. Lisandro s'est trouvé une nouvelle blessure, Toulalan est dépité et même Lloris.<br /> Le président a fait un coup tordu à Nanard en faisant croire qu'il aurait certains pouvoirs sur l'équipe et un droit de regard sur la composition. C'est faux, totalement faux. Nanard est toujours dans son placard et la porte est fermée à clef. Seulement le public croit maintenant que Nanard oeuvre et les résultats qui vont suivre seront la conséquence de son implication. Or, il n'a aucun pouvoir.<br /> C'est ce que je dis à Vincent et nous attendons le résultat du match de ce soir pour divulguer ces informations importantes pour que la vérité éclate vite, avant que Nanard en prenne un coup sur sa popularité..<br /> Pour la première fois depuis que je suis entré au club en 1959, ce soir, je souhaite la victoire de l'adversaire, Rennes, car si l'on gagne, on continuera lentement mais sûrement à sombrer dans un climat délétère, malsain, qui nous entraînera inéluctablement à la chute vertigineuse d'un club qui aura connu la grandeur et la décadence en un temps reccord<br /> Tu te rends compte. C'est tout de même terrible d'en arriver là.<br /> <br /> Bon ! Ce n'est que du football.<br /> Mais je pense à mon ami Nanard et à tous ces supporters qui sont malheureux.
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D
Tu as un vrai don pour raconter ta vie. Quelle belle histoire que celle de ton Papa. Il y a beaucoup d'émotion.<br /> j'espère que tu es prêt pour ce soir car le match est important
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A
Merci du fond du coeur.<br /> Une confidence : lorsque j'étais enfant puis adolescent et encore maintenant pour quelques irréductibles amis de mon enfance, on m'appelle ... câlain.<br /> A 60 ans ça fait drôle et en même temps cela fait chaud.<br /> Oui c'est vrai je suis affectueux. Je faisais câlin à mon père sur ses genoux bien longtemps après l'âge normal et ma mère m'appelait "mon rayon de soleil".<br /> J'aime beaucoup prendre les gens dans mes bras ou leur tenir la main, les toucher.<br /> Le toucher est très important pour le réconfort et l'auto-guérison et j'en ai besoin. J'aime beaucoup lorsque j'écoute la musique au lit le soir me prendre dans mes bras. Je sens mes mains sous mes épaules dans mon dos et je souris.<br /> Je parle de moi mais c'est à vous que je m'adresse, avec toute la douceur possible. je voudrais vous dire que l'on peut se réconforter, avec quelques gestes tendres vis-à-vis de soi-même. Prendre soin de soi est le passage obligatoire pour prendre soin des autres. On peut être triste, souffrir, être malheureux mais cela ne dure jamais. Il y a toujours un côté éphémère aux émotions de toutes sortes car c'est bien nous qui les fabriquons.<br /> Nous sommes toujours entre deux, sur le fil qui nous mène d'un côté ou de l'autre en permanence. Chaque fois qu'il est possible, recueillons-nous et offrons en nous-mêmes notre amour à tous les êtres en souffrance et prenons pour nous toute la misère du monde.<br /> Je vous embrasse tous.
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E
Je suis d'accord avec toi, Sylvie...<br /> Alain n'a pas son pareil pour nous faire vivre des émotions.<br /> On s'y croirait !<br /> On a envie d'embrasser ses parents.<br /> Mes souvenirs sont flous, pourtant il me semble que c'est en 1978 que j'ai eu le plaisir d'approcher Stan Getz à Nice.<br /> Hélas, moi pas parler englich... Lui, pas parler francais. <br /> Le jazz... Tout un langage... Un cri,celui de la rue... Des caves... La misère qui monte jusqu'au ciel.
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S
alain quel bel hommage à un papa bien émouvant <br /> bravo pour ces simples paroles, je vous aime pour cette sincèrité. quel fils affectueux vous faites
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A
Merci Daniel.<br /> Grâce à toi aujourd'hui, c'est la fête à mon papa. C'est un réel plaisir que de l'imaginer.<br /> Je me souviens deux jours avant sa mort, c'était un dimanche de mars. J'avais réussi à réunir toute la famille pour passer la journée avec lui. Maman est venue et mes deux frères étaient là. Il y avait une de mes belles soeurs.<br /> Dans cette maison de retraite médicalisée, le parc était somptueux et mon père attendait que sa femme le rejoigne. Je venais le voir tous les matins et chaque fois il me demandait quand maman allait le rejoindre.<br /> Je devais lui mentir car je savais qu'il ne l'aurait pas supporté et qu'il m'aurait demandé une fois de plus de le ramener à la maison et je l'aurais sans doute encore fait.<br /> Il perdait un peu la tête et redevenait enfant. Son regard bleu ciel brillait quand je lui disais que maman allait venir dès qu'une chambre serait libre.<br /> Il semblait si heureux et si démuni en même temps.<br /> <br /> Ce jour là nous étions dehors, il faisait si beau. Il restait trois semaines avant que l'on fête leurs noces de diamant. Nous étions assis autour d'une table sur la terrasse. Le soleil nous réchauffait un peu, c'était bien agréable. J'étais à côté de lui et maman était en face. Il la regardait comme si c'était le premier jour. C'était magnifique. Elle était gênée. Nous étions émus de le voir si lumineux. Mon frère ainé ne pouvait pas voir ça mais nous lui avons raconté après. Par contre il a entendu par trois fois mon père dire à sa femme avec ce regard si plein de cet amour :<br /> "Je t'aime ... Je t'aime ... Je t'aime ... !"<br /> <br /> Même les aides soignantes étaient bouleversées par l'authenticité de sa déclaration. J'étais à peine triste de voir ma mère gênée car rien ne pouvait altérer la force de l'amour qui émanait de mon père.<br /> Quand ma mère est partie avec mes deux frères, je suis resté un moment avec lui. Rien ne présageait de ce qui allait se passer. Il était physiquement en pleine forme.<br /> Mais il fallait le rassurer tout le temps. <br /> <br /> Le lendemain matin je passais le voir comme d'habituide avant le travail. <br /> Il était légèrement inquiet. Il ne comprenait pas pourquoi maman n'était pas là. Cela devenait difficile de lui mentir.<br /> Je le laissais au milieu de son petit déjeuner. Je ne savais pas que c'était la dernière fois.<br /> Le lendemain je n'ai pas pu venir le matin. C'était rare.<br /> Les infirmières n'avaient jamais vu ça. Il venait de terminer sa dernière biscotte à la confiture. Au moment de se lever pour aller vers sa chambre, il se rassit aussitôt, mort sur le coup, sans aucune souffrance. Son coeur avait cessé de battre sans aucune agonie ni crise cardiaque, simplement un arrêt du coeur comme on éteint la lumière.<br /> Quand je suis arrivé, il reposait sur son lit le visage tranquille. Je passai la journée avec lui.<br /> Je repense à cela aujourd'hui. Mon père, c'était un homme bon, simple et très équilibré. Il était aimé de partout. Il n'était pas mondain ni causeur, juste affable, poli, gentil, un peu malicieux et naïf en même temps.<br /> Mon papa, il est resté un enfant toute sa vie.
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