Du personnel à l’impersonnel
Un premier cri sort de nos poumons et nous entrons dans le monde. Et pourtant dès notre naissance, nous commençons un long processus de séparation avec ce monde dans lequel nous allons vivre. Un chemin d’illusions s’offre à nos pas que nous empruntons d’une façon tout à fait inconsciente. Petit bébé innocent, qui va affronter la vie avec toutes ces incertitudes, deviendra, au fil du temps, un adulte formaté, façonné, stéréotypé par une éducation, des habitudes, des réflexes qui se répéteront sans cesse face aux événements de l’existence.
C’est seulement maintenant que je peux exprimer cela, à cette époque de ma vie où je commence à basculer tout doucement vers la vieillesse. En me remémorant ma vie, en me penchant sur mon passé, je me suis rendu compte que j’étais devenu un être conditionné qui agissait et réagissait en fonction d’une structure mentale que mon entourage (parents, école, groupe social, culture) n’avait cessé de nourrir tout au long de ces années. Bien sûr, il y a un peu de moi dans tout cela, mais aussi beaucoup des autres. Nul regret cependant mais une envie très forte à ce stade de ma vie de me débarrasser de cette peau, de cette sorte de gangue dans laquelle j’ai été longtemps prisonnier. Prisonnier aussi de mes passions, désirs, instincts, besoins exigeants qui faisaient de moi un individu en quête de bonheur, de survie, de comparaison, d’attentes diverses, prisonnier d’un égo trop présent.
Je souhaite désormais exprimer mon essence profonde et ne plus être dans un rôle de composition qui m’a mené bien souvent sur des chemins de travers.
Alors je me dépersonnalise d’une certaine façon. Je m’écoute moins et j’écoute plus les autres. Loin d’être parfait, je développe d’autres valeurs : l’écoute, la compassion, l’attention aux autres et à mon environnement, la pratique du silence, la tolérance. Tout cela tend à dissoudre les frontières de mon être et à me placer dans une perspective de compréhension plus vaste. C’est ce que j’appelle la dépersonnalisation. Cette transformation se fait imperceptiblement mais je la ressens physiquement. Moins de réactions, de stress, d’attachement aux êtres et aux choses, moins d'envies et de désirs. C’est comme une libération qui imprègne de plus en plus ma personne. Mes certitudes s’effacent et le doute et le recul sont plus présents.
J’aime beaucoup cette pensée de Boris Cyrulnik :
« La pensée paresseuse consiste à avoir des catégories claires : noir ou blanc. Vous voulez des certitudes, ne lisez pas, ne voyagez pas, ne rencontrez personne. Là, vous aurez des certitudes. Si par malheur vous voyagez, si par malheur vous lisez, si par malheur vous rencontrez d’autres mentaux que le votre, vous aurez des doutes passionnants, mais ne serez plus dans la pensée binaire-noir ou blanc, grosse ou maigre, grande ou petite. Alors ce sera passionnant, mais ça ne sera pas la pensée binaire. Il faudra marner ! »
Oui mes doutes commencent à être passionnants et m’invitent à ne plus formuler de jugements de valeurs, à être moins directif et exigeant, à émettre des idées toutes faites, en un mot à être moins péremptoire. Ils m’aident aussi à élargir ma vision du monde, en abandonnant un certain nombre de certitudes qui ne pouvaient que restreindre mes appréciations.
Vous pourriez me dire : mais alors pourquoi parles-tu souvent de toi sur le blog ?..... Parce que j’ai toujours pensé que ma propre et modeste expérience pouvait être utile aux autres et que rien ne vaut le vécu. La théorie est toujours très facile puisqu’il s’agit de mots Un jour viendra où sans doute moi aussi je m’effacerai. Je n’aurai plus rien à dire, simplement à être. Mais je n’en suis pas encore là…….
La photo a été réalisée par Véronique: http://veronique.aminus3.com/
Daniel