le conte de Noël de José
Bien avant Noël 1944, les troupes allemandes avaient fuit la Belgique, refoulées sur le sol germanique. Je venais d’avoir 10 ans, la fin de la guerre nous semblait proche. Mais, dès l’automne, Hitler fomenta un “dernier coup de dés” : couper les lignes alliées et gagner le port d’Anvers. Parallèlement, ses“armes de représailles” préparaient le terrain en semant la panique parmi la population avec ses V1 et V2. Mes parents, tout en restant à Liège, nous avaient, ma sœur et moi, confiés à nos oncle et tante, dans les Ardennes, pour échapper à cette terreur aveugle.
Le 16 décembre 1944, de Monschau à Echternach, sous un déluge de feu, les quelques divisions américaines déployées sur 130 km sont bousculées, certaines seront même anéanties, les divisions nazies allemandes, lourdement armées, sèment une épouvante programmée sur les militaires, mais aussi sur certaines populations civiles.
Dès le 18 décembre, les nazis étaient
stoppés à 300 m.
de notre maison, à l’entrée du village. Des rumeurs de massacres de civils
circulèrent rapidement. Ma famille ardennaise, bien inspirée, décida de s’exiler
avec tout son petit monde - 7 personnes - dans un petit village tout proche,
mais situé sur une colline aux versants abrupts, chez des amis fermiers. Là,
nous occupions un véritable poste d’observation, ce qui n’était pas pour pas me
déplaire, j’ignorais le danger, curieux de voir et de savoir...
Lorsque l’avance des troupes allemandes fut définitivement stoppée, aux environs de Noël 1944, nous fument brusquement aux mains d’une division de fantassins allemands qui purent occuper le village sans avoir à combattre, suite à une retraite stratégique des Américains.
Ces Allemands-là étaient corrects avec les civils, tout en occupant sans ménagement tous les bâtiments des villageois.
Ce que nous ignorions : nous étions en première ligne, les troupes américaines (en fait les paras ayant libéré Sainte-Mère-Église...) étaient à 400 mètres de nous. Pendant une semaine, nous avons bénéficié d’un calme tout relatif, seuls les obus des artilleries américaine et allemande “survolaient” le village tant de jour que de nuit, signalant leur passage par leur sifflement caractéristique.
Tout changea brusquement le 1er janvier 1945 à 9 h. après une trêve conclue entre les belligérants, les Allemands donnaient une heure aux civils pour quitter le village et fuir vers le sud. A cette époque là, il gelait à -10° et la neige recouvrait le sol sur 30 à 40 cm.
Avec d’autres villageois, paniqués, nous nous empressons de prendre la route vers le sud, notre ami fermier emmenant sa famille, mais aussi son cheval, son char à foin et... son bétail. Quelques vêtements et couvertures et nous voici sur le chemin de l’exode. Son fils Freddy et moi sommes installés sur le char : nous ne sommes pas du tout équipés pour marcher dans la neige. ‘’ Curieuse colonne’’ devront sans doute penser les aviateurs américains qui nous survoleront à plusieurs reprises à très basse altitude...
Nous allons ainsi serpenter sur dix-huit kilomètres durant sept longues heures, en évitant obligatoirement les campements des troupes allemandes. A la nuit tombante, nous touchons au but fixé pour nous réfugier chez d’autres amis fermiers : nous atteignons enfin leur village qui est, lui aussi, investi par les lignes arrières allemandes.
Sur le char à foin, Freddy (cinq ans) et moi, à jeun depuis notre réveil brutal, étions grelottants et, bien sur, affamés. En ce qui me concerne, ce fut d’ailleurs la seule fois de ma vie où j’ai pleuré de froid et de faim. Mais, à l’entrée du village, les Allemands nous arrêtent, contrôlent la colonne de réfugiés. L’un d’eux, un ange parmi les diables, nous tendit un “biscuit de soldat” qui nous goûta comme un chou à la crème. Freddy, ses parents et sa sœur s’arrêtèrent dans une première ferme pouvant “accueillir” leur bétail.
Encore quelques centaines de mètres et nous serons chez nos amis où un véritable conte de Noël nous attend.
Accueillis ? Pas vraiment, le “patron” ne le souhaite pas, mais les femmes qui l’entourent auront le dernier mot. Et, surtout, les Allemands qui occupent la ferme, nous “ordonnent” de rester. Pour nous remonter le moral, leur commandant fait amener “tout le nécessaire” - produits des pillages et des vols - pour préparer des “boules de Berlin”. Et c’est dans la fête générale que se termine cette journée commencée dans une peur panique ! C’est la guerre, paraît-il, et elle tue pas très loin de nous !
Le lendemain, lorsqu’il fait jour, les Allemands insistent pour nous connaître, comprendre les soucis que sont les nôtres depuis 15 jours. S’ils ne parlent pas un mot de français, il y a parmi eux un Alsacien, enrôlé de force. Il se bat “contre son frère” qui a pu rejoindre l’Armée Française. Il sert de traducteur pour tout le monde.
Mais le plus extraordinaire : un officier lui fait demander mon âge, puis si ma famille accepterait qu’il me prenne sur ses genoux : il a un fils de 10 ans, lui aussi...
Me voici donc sur les genoux d’un officier ennemi, il me serre tout contre lui. Sans doute lui a-t-on fait un beau cadeau. Et moi, malgré mon jeune âge, je n’en mène pas large, car je n’y comprends rien, et je suis envahi par une gêne morale comme je n’en avais jamais connue.
Dès le lendemain, les combats se rapprochent, et tandis que les Allemands décampent, nous investissons la cave. Durant 5 jours vécus à la lueur de la flammèche d’une lampe à huile, les combats sont de plus en plus rapprochés... si proches mêmes qu’on se bat brièvement dans la maison. Le 7
janvier 1945, nos problèmes d’alimentation et d’hygiène deviennent cruciaux, mais en fin de journée, nous sommes libérés par les troupes américaines, au prix de très lourdes pertes, nous l’apprendrons bientôt.
Des combats horribles ont eu lieu non loin de nous. Dans le village, ce fut “plus calme” si je puis dire.
Un obus explosa sur le toit de la maison, un autre sur un véhicule abandonné contre la ferme.
Le conte de Noël n’était pas terminé... la cuisine des G.I.’s s’installa à la ferme. Les privations étaient terminées !!!
Mais nous nous retrouvions à nouveau à quelques centaines de mètres du front, qui avait été provisoirement stabilisé. Cette fois, ce furent les Américains qui nous expulsèrent vers le nord... Le danger nous collait toujours aux talons. En prenant des risques insensés sous prétexte qu’il connaissait les bois “comme le fond de sa poche”, notre oncle nous traça un chemin à travers bois où, il y a peu, tant de sang avait coulé, mais déjà recouvert d’une bonne couche de neige fraîche : 30 nouveaux centimètres étaient tombés.
Notre histoire devenait ainsi un
véritable “Conte de Noël” : entre “notre Noël” et la Noël orthodoxe du 7 janvier !
Mais la “Bataille des Ardennes”
a coûté la vie à 2.300 civils au cours des six semaines de combats.
Photo de José à l'école
José Buche - Noël 2010
J’étais un gamin de 10 ans et, comme je l’ai dit, j’ai surtout observé, oubliant au passage que j’aurais dû avoir peur...
Les véritables héros étaient sur le terrain, l’arme à la main. L’un deux a sillonné les bois et les champs que j’ai moi-même traversés. Il s’agit du Colonel Benjamin Vandervoort. Il a terminé sa carrière militaire à un jet de pierre, pourrait-on dire, de l’endroit où je me trouvais. On pourra s’étonner de l’attitude bienveillante de certains Allemands avec les civils, en pleine guerre.
On sait aussi que les troupes ennemies observent parfois spontanément une trêve de Noël, avant de se retirer dessus le lendemain. Quelle connerie la guerre !
Je pourrais aussi vous citer le cas d’un soldat allemand qui, dans le village d’Arbrefontaine a donné le biberon pendant plusieurs jours à un bébé de trois mois, avec l’accord des parents. Voyez-vous, il avait, lui aussi, un bébé de trois mois.