J'apprends !
Joshin Luce Bachoux
«Que fais-tu grand-mère, assise là, dehors, toute seule ?
-Eh bien, vois-tu, j’apprends.
J’apprends le petit, le minuscule, l’infini.
J’apprends les os qui craquent,
Le regard qui se détourne.
J’apprends à être transparente,
À regarder au lieu d’être regardée.
J’apprends le goût de l’instant,
Quand mes mains tremblent,
La précipitation du cœur qui bat trop vite.
J’apprends à marcher doucement,
À bouger dans des limites,
Plus étroites qu’avant et à y trouver,
Un espace plus vaste que le ciel.
-Comment est-ce que tu apprends tout cela grand-mère ?
-J’apprends avec les arbres,
Et avec les oiseaux,
J’apprends avec les nuages.
J’apprends à rester en place,
Et à vivre dans le silence.
J’apprends à garder les yeux ouverts,
Et à écouter le vent.
J’apprends la patience et aussi l’ennui.
J’apprends que la tristesse du cœur,
Est un nuage, et nuage aussi le plaisir .
J’apprends à passer sans laisser de traces,
À perdre sans retenir,
Et à recommencer sans me lasser.
-Grand-mère, je ne comprends pas, pourquoi apprendre tout ça ?
-Parce qu’il me faut apprendre,
À regarder les os de mon visage,
Et les veines de mes mains,
À accepter la douleur de mon corps,
Le souffle des nuits,
Et le goût précieux de chaque journée,
Parce qu’avec l’élan de la vague,
Et le long retrait des marées,
J’apprends à voir du bout des doigts,
Et à écouter avec les yeux.
J’apprends qu’il faut aimer,
Que le bonheur des autres,
Est notre propre bonheur,
Que leurs yeux reflètent dans nos yeux
Et leurs cœurs dans nos cœurs.
J’apprends qu’on avance mieux,
En se donnant la main,
Que même un corps immobile danse,
Quand le cœur est tranquille.
Que la route est sans fin,
Et pourtant toujours exactement là.
-Et avec tout ça, pour finir, qu’apprends-tu donc grand-mère ? »
J’apprends, dit la grand-mère à l’enfant,
J'apprends à être vieille ! »
~Joshin Luce Bachoux~
Nonne bouddhiste, Joshin Luce Bachoux vit en Ardèche. Elle anime la Demeure sans limites, temple zen et lieu de retraite à Saint-Agrève, en Ardèche.