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Les voies de l'âme
11 novembre 2015

Mozart et moi

Vieillir, la plus grande injustice parce que l'on n'en n'est pas responsable et, en même temps, la plus grande justice car aucune Femme et aucun Homme n'y échappent !

Un très beau texte de Bernard Pivot.

 

Extrait de son livre"Les mots de ma vie"

 

Bernard-Pivot

             Bernard Pivot

Vieillir, c'est chiant. J'aurais pu dire : vieillir, c'est désolant, c'est insupportable, c'est douloureux, c'est horrible, c'est déprimant, c'est mortel.

Mais j'ai préféré « chiant » parce que c'est un adjectif vigoureux qui ne fait pas triste.Vieillir, c'est chiant parce qu'on ne sait pas quand ça a commencé et l'on sait encore moins quand ça finira.

Non, ce n'est pas vrai qu'on vieillit dès notre naissance. On a été longtemps si frais, si jeune, si appétissant. On était bien dans sa peau. On se sentait conquérant. Invulnérable. La vie devant soi. Même à cinquante ans, c'était encore très bien. Même à soixante.

Si, si, je vous assure, j'étais encore plein de muscles, de projets, de désirs, de flamme. Je le suis toujours, mais voilà, entre-temps j'ai vu le regard des jeunes, des hommes et des femmes dans la force de l'âge qu'ils ne me considéraient plus comme un des leurs, même apparenté, même à la marge. J'ai lu dans leurs yeux qu'ils n'auraient plus jamais d'indulgence à mon égard. Qu'ils seraient polis, déférents, louangeurs, mais impitoyables. Sans m'en rendre compte, j'étais entré dans l'apartheid de l'âge.

Le plus terrible est venu des dédicaces des écrivains, surtout des débutants. "Avec respect", "En hommage respectueux", "Avec mes sentiments très respectueux". Les salauds! Ils croyaient probablement me faire plaisir en décapuchonnant leur stylo plein de respect? Les cons! Et du « cher Monsieur Pivot » long et solennel comme une citation à l'ordre des Arts et Lettres qui vous fiche dix ans de plus !

Un jour, dans le métro, c'était la première fois, une jeune fille s'est levée pour me donner sa place. J'ai failli la gifler. Puis la priant de se rasseoir, je lui ai demandé si je faisais vraiment vieux, si je lui étais apparu fatigué.

-- "Non, non, pas du tout, a-t-elle répondu, embarrassée. J'ai pensé que".

-- Moi aussitôt : «Vous pensiez que ?

-- "Je pensais, je ne sais pas, je ne sais plus, que ça vous ferait plaisir de vous asseoir".

--"Parce que j'ai les cheveux blancs "?

--"Non, ce n'est pas ça, je vous ai vu debout et comme vous êtes plus âgé que moi, ça a été un réflexe, je me suis levée".

"Je parais beaucoup beaucoup plus âgé que vous"?

--"Non, oui, enfin un peu, mais ce n'est pas une question d'âge".

-- "Une question de quoi, alors?"

--"Je ne sais pas, une question de politesse, enfin je crois".

J'ai arrêté de la taquiner, je l'ai remerciée de son geste généreux et l'ai accompagnée à la station où elle descendait pour lui offrir un verre.

Lutter contre le vieillissement c'est, dans la mesure du possible, ne renoncer à rien. Ni au travail, ni aux voyages, ni aux spectacles, ni aux livres, ni à la gourmandise, ni à l'amour, ni au rêve. Rêver, c'est se souvenir tant qu'à faire, des heures exquises. C'est penser aux jolis rendez-vous qui nous attendent. C'est laisser son esprit vagabonder entre le désir et l'utopie.

La musique est un puissant excitant du rêve. La musique est une drogue douce. J'aimerais mourir, rêveur, dans un fauteuil en écoutant soit l'adagio du Concerto no 23 en la majeur de Mozart, soit, du même, l'andante de son Concerto no 21 en ut majeur, musiques au bout desquelles se révéleront à mes yeux pas même étonnés les paysages sublimes de l'au-delà. Mais Mozart et moi ne sommes pas pressés.

Nous allons prendre notre temps. Avec l'âge le temps passe, soit trop vite, soit trop lentement. Nous ignorons à combien se monte encore notre capital. En années? En mois? En jours? Non, il ne faut pas considérer le temps qui nous reste comme un capital.

Mais comme un usufruit dont, tant que nous en sommes capables, il faut jouir sans modération. Après nous, le déluge?   Non, Mozart.

 

Commentaires
D
Mais c'était sans doute son destin! S'il avait méprisé tout cela peut être n'aurait-il pas composé ainsi.
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T
Il y a des chances que l'on vieillisse plus ou moins vite selon les circonstances et les épreuves. Mozart l'exubérant, le grand enfant, disait déjà bien avant sa mort : je n'ai plus de goût à rien. Et quelque chose comme : cette vie n'a pas de sens.<br /> <br /> Il faut dire qu'il avait toutes les raisons pour être écoeuré;<br /> <br /> D'abord, un être ordinaire aurait vomi la musique s'il avait été ainsi ballotté, mis en vedette par ses parents dès son plus jeune âge (après des voyages éprouvants).<br /> <br /> Puis chaperonné par son père, pour sa carrière, comme ce n'est pas permis.<br /> <br /> Puis en butte à l'incompréhension et l'hostilité des grands. <br /> <br /> Ensuite, ce gentil, ce tendre Wolfie, a dépensé et gaspillé une énergie considérable à essayer d'être un brave homme, un homme normal, un citoyen respectable dans la société alors qu'il n'était pas du tout fait pour cela.<br /> <br /> Que de peines, de tracas il se serait évité s'il avait méprisé tout cela.
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F
il faut accepter de vieillir et garder l'esprit et le coeur jeunes
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D
Et la tête ? Elle est toujours jeune, j'espère( mais j'en suis sûr !)
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D
Je lis avec joie son texte. J'ai 62 ans et déjà ça craqouille dans les muscles. Par contre si je ne fais plus de cabrioles je vis en harmonie avec mon temps. Merci pour ce texte.
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M
J'avais déjà lu ce texte. Bien sûr on pense très longtemps pouvoir éviter la question et un jour, inévitablement, elle vous tombe dessus : "j'ai vieilli". Mais à quoi le voyons nous ? Nous sommes moins performants ; nous sommes moins beaux ; nous sommes en moins bonne santé ... ? Cela pourrait nous arriver indépendamment du vieillissement ! Mais disons que le vieillissement nous oblige à l'expérimenter. Et quelle chance !! C'est dans la Bible quelque part au début, que Dieu se félicite d'avoir raccourci la vie des hommes parce que franchement ils commençaient à se prendre vraiment trop au sérieux ! Grâce au vieillissement commence la sagesse... Quelle merveille ! Et pourquoi y ajouter "Mozart" ? Pauvre Mozart, il est devenu un produit générique de consommation anti-vieillissement ... Ou alors, c'est que monsieur Pivot ne connaît QUE lui ce qui n'est franchement pas original. <br /> <br /> Mais là, bon, je m'arrête car je m'étais promis de ne pas critiquer et ma vraie pensée se fait jour : Monsieur Pivot est la représentation par excellence du Mental, alors je ne le prendrai JAMAIS pour modèle ni encore moins pour guide.
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E
j'aime beaucoup la phrase de Mr Pivot. <br /> <br /> je réfléchirai la prochaine fois que je céderai ma place...
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C
Très émouvant ce texte de Bernard Pivot.<br /> <br /> Son esprit en tous cas, reste aiguisé comme au premier jour, et son oeil tendre et goguenard que j'ai toujours aimé...<br /> <br /> ¸¸.•*¨*• ☆
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A
Un texte à lire et relire, surtout à mon âge ! quel style, fond et forme. Amitiés.
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M
J'aime bien le commentaire de boudoir de soi . La vieillesse est surtout, à mon sens, une sacrée épreuve de lâcher-prise de l'ego .<br /> <br /> Finalement, qui sommes-nous ? Notre apparence physique, notre statut social, nos actions bonnes ou mauvaises, l'image que les autres ont de nous (en un mot, nos croyances)... ou autre chose ?
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W
un sujet délicat et pourtant inevitable, savourer les moments de vie jusqu'au bout ?
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P
Un texte qui me touche et me parle. Moi aussi, quand quelqu'un s'est levé pour me laisser la place dans un métro, j'ai regardé autour de moi pour voir s'il y avait une vieille personne. Mais non, c'était bien pour moi qu'on se levait. Argh... Je n'ai même pas un seul cheveu blanc ! Mais ça m'a déprimée pour la journée. :)
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L
se sent vieux celui qui veut ! le vieux sait le jeune non, la vie est un long chemin on a du mal à vieillir parce que nous restons dans notre jeunesse que nous voulons éternelle ! mais je pense toujours à la rose, si belle qui se fane elle aussi, alors acceptons de nous asseoir à cette place que l'on nous a si gentiment cédé. Très beau texte !
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P
C'est un texte merveilleux, j'aime particulièrement cette phrase "Sans m'en rendre compte, j'étais entré dans l'apartheid de l'âge"... La vie est ainsi faite, peut-être faut-il alors cultiver notre jardin intérieur, pour offrir à notre entourage paix et sérénité. Bises. brigitte
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M
Que peut-il nous arriver de mieux que de vieillir ?
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M
un très beau livre, que j'ai lu comme tu as dû le dire ... m'évoquant bien des souvenirs ... c'est que doucement nous avons passé soixante ans ...<br /> <br /> entendons Mozart !<br /> <br /> amitié .
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