Gros bisous grand-mère……
Je venais d’avoir 11 ans et ma grand-mère, qui habitait avec mon grand père une petite maison en contre bas du jardin, m’avait préparé pour l’occasion des crêpes dont j’étais friand. De belles crêpes dorées à point, toutes chaudes que j’ai avalées à toute vitesse. J’aimais bien ma grand-mère, une femme de la campagne beauceronne. Elle n’avait pas la langue dans sa poche et employait tout un tas d’expressions imagées dont celle-ci « Il fait un vent à vous retourner la gueule ! » Elle s’appelait Berthe et c’était elle le chef à la maison. Le cœur sur la main, elle me protégeait et m’aimait beaucoup. Elle me donnait, en cachette, une petite pièce pour m’acheter des friandises.
J’avais donc 11 ans et le monde des adultes me paraissait étranger, voir hostile. Très occupé par son travail, mon père avait peu de contacts avec moi. J’aurais bien aimé qu’il joue avec moi ou qu’on fasse des choses ensemble mais ce ne fut pas le cas. Il rentrait tard le soir et s’occupait avant tout que je me tienne bien à table. Un vrai calvaire que les repas ! car je mangeais peu et ma mère s’en inquiétait. Je devais à tout prix vider mon assiette. J’aurais voulu que mes parents m’écoutent et comprennent mes peines et mes émotions sans me juger, qu’ils soient ouverts à ma personnalité. Ce ne fut pas le cas. Ma mère avait ses propres problèmes psychologiques à gérer et faisait au mieux mais d’une façon stressante et angoissante. Elle était capable de ne pas me parler pendant plusieurs jours parce que j’avais fait une bêtise. Elle avait ses crises et passait constamment par des hauts et des bas. Cette attitude était très déstabilisante pour moi. Je ne manquais de rien sur le plan matériel mais vivais dans une insécurité affective totale que je traîne encore aujourd’hui.
Je vivais dans mon univers avec mon chien. Je l’avais appelé « Domino » parce qu’il avait des taches blanches et noires. Il me suivait partout et dormait avec moi. Je m’asseyais sur les marches du perron et jouais de l’harmonica. Alors Domino gémissait. En fait il chantait à mes côtés. C’était l’époque où je faisais collection de timbres. Je m’enfermais dans ma chambre à regarder et évaluer tous les timbres que j’avais pu échanger. J’avais le catalogue Thiaude et une grosse loupe. Je calculais, je supputais la valeur des timbres. J’étais bien, toujours avec mon chien, loin des adultes et de leurs problèmes. Je me souviens aussi d’avoir eu un cahier, entièrement consacré à Napoléon dans lequel j’avais noté les noms de toutes ses victoires et défaites ainsi que la liste de ses généraux. Tout cela me faisait rêver.
J’étais fils unique et ma mère avait reporté sur moi toute l’affection dont elle-même avait manqué dans son enfance. Seulement elle était malhabile et trop détruite sur le plan affectif. Les années ont passé et un fossé d’incompréhension s’est creusé entre nous. Que c’est difficile d’éduquer des enfants car on projette, inconsciemment sur eux, ses propres difficultés de vie.
Ma grand-mère est morte depuis bien longtemps mais je sais que, depuis là haut, elle me protège toujours. Gros bisous grand mère…..
C'est la seule photo que j'ai trouvée de moi. Je devais avoir 8 ans. On dirait un ange, ce que je ne fus pas tout au long de ma vie ! Un regard plein d'innocence que l'existence allait se charger de changer....
Daniel